Fondation et Manifeste du Futurisme
FR
Nous avions veillé toute la nuit, mes amis et moi, sous des lampes de mosquée dont les coupoles de cuivre aussi ajourées que notre âme avaient pourtant des cœurs électriques. Et tout en piétinant notre native paresse sur d’opulents tapis Persans, nous avions discuté aux frontières extrêmes de la logique et griffé le papier de démentes écritures.
Un immense orgueil. gonflait nos poitrines, à nous sentir debout tout seuls, comme des phares ou comme des sentinelles avancées, face à l’armée des étoiles ennemies, qui campent dans leurs bivouacs célestes. Seuls avec les mécaniciens dans les infernales chaufferies des grands navires, seuls avec les noirs fantômes qui fourragent dans le ventre rouge des locomotives affolées, seuls avec les ivrognes battant des ailes contre les murs!
Et nous voilà brusquement distraits par le roulement des énormes tram¬ways à double étage, qui passent sursautants, bariolés de lumières, tels les hameaux en fate que le Pô débordé ébranle tout à coup et déracine, pour les entraîner, sur les cascades et les remous d’un déluge, jusqu’à la mer.
Puis le silence s’aggrava. Comme nous écoutions la prière exténuée du vieux canal et crisser les os des palais moribonds dans leur barbe de verdure, soudain rugirent sous nos fenêtres les automobiles affamées.
– Allons, dis-je, mes amis ! Partons ! Enfin la Mythologie et l’Idéal mystique sont surpassés.
Nous allons assister à la naissance du Centaure et nous verrons bientôt voler les premiers Anges ! Il faudra ébranler les portes de la vie pour en essayer les gonds et les verrous !… Partons! Voilà bien le pre¬mier soleil levant sur la terre !… Rien n’égale la splendeur de son épée rouge qui s’escrime pour la première fois, dans nos ténèbres millénaires.
Nous nous approchâmes des trois machines renâclantes pour flatter leur poitrail. Je m’allongeai sur la mienne comme un cadavre dans sa bière, mais je ressuscitai soudain sous le volant – couperet de guillotine – qui menaçait mon estomac.
Le grand balai de la folie nous arracha à nous-mêmes et nous poussa à travers les rues escarpées et profondes comme des torrents desséchés. Ça et là des lampes malheureuses, aux fenêtres, nous enseignaient à mépriser nos yeux mathématiques.
– Le flair, cri ai-je, le flair suffit aux fauves!…
Et nous chassions, tels de jeunes lions, la Mort au pelage noir tacheté de croix pâles, qui courait devant nous dans le vaste ciel mauve, palpable et vivant.
Et pourtant nous n avions pas de Maîtresse idéale dressant sa taille jus¬qu’aux nuages, ni de Reine cruelle à qui offrir nos cadavres tordus en bagues byzantines !… Rien pour mourir si ce n’est le désir de nous débarrasser enfin de notre trop pesant courage!
Nous allions écrasant sur le seuil des maisons les chiens de garde, qui s’aplatissaient arrondis sous nos pneus brûlants, comme un faux-col sous un fer à repasser.
La Mort amadouée me devançait à chaque virage pour m’offrir gentiment la patte, et tour à tour se couchait au ras de terre avec un bruit de mâchoires stridentes en me coulant des regards veloutés au fond des flaques.
– Sortons de la Sagesse comme d’une gangue hideuse et entrons, comme des fruits pimentés d’orgueil, dans la bouche immense et torse du vent !… Donnons-nous à manger à l’Inconnu, non par désespoir, mais simplement pour enrichir les insondables réservoirs de l’Absurde.
Comme j’avais dit ces mots, je virai brusquement sur moi-même avec l’ivresse folle des caniches qui se mordent la queue, et voilà tout à coup que deux cyclistes me désapprouvèrent, titubant devant moi ainsi que deux raison¬nements persuasifs et pourtant contradictoires. Leur ondoiement stupide discu¬tait sur mon terrain… Quel ennui! Pouah !… Je coupai court, et par dégoût, je me flanquai – vlan! – cul pardessus tête, dans un fossé…
Oh, maternel fossé, à moitié plein d’une eau vaseuse ! Fossé d’usine ! J’ai savouré a pleine bouche ta boue fortifiante qui me rappelle la sainte mamelle noire de ma nourrice soudanaise!
Comme je dressai mon corps, fangeuse et malodorante vadrouille, je sentis le fer rouge de la joie me percer délicieusement le cœur.
Une foule de pêcheurs à la ligne et de naturalistes podagres s’était ameutée d’épouvante autour du prodige. D’une âme patiente et tatillonne, ils élevèrent très haut d’énormes éperviers de fer, pour pêcher mon automobile, pareille à un grand requin embourbé. Elle émergea lentement en abandonnant dans le fossé, telles des écailles, Sa lourde carrosserie de bon sens et son capitonnage de confort.
On le croyait mort, mon bon requin, mais je le réveillai d’une seule caresse sur son dos tout-puissant, et le voilà ressuscité, courant à toute vitesse sur ses nageoires.
Alors, le visage masqué de la bonne boue des usines, pleine de scories de métal, de sueurs inutiles et de suie céleste, portant nos bras foulés en écharpe, parmi la complainte des sages pécheurs à la ligne et des naturalistes navrés, nous dictames nos premières volontés à tous les hommes vivants de la terre:
- Nous voulons chanter l’amour du danger, l’habitude de l’énergie et de la témérité.
- Les éléments essentiels de notre poésie seront. le courage, l’audaoe et la révolte.
- La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.
- Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive… Une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.
- Nous voulons chanter l’homme qui tient le volant, dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite.
- Il faut que le poète se dépense avec chaleur, éclat et prodigalité, pour augmenter la ferveur enthousiaste des éléments primordiaux.
- Il n’y a plus de beauté que dans la lutte. Pas de chef-d’œuvre sans un caractère agressif. La poésie doit être un assaut violent contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l’homme.
- Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles !… A quoi bon regarder derrière nous, du moment qu’il nous faut défoncer les vantaux mysté¬rieux de l’Impossible? Le Temps et l’Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l’absolu, puisque nous avons déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente.
- Nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde, – le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent, et le mépris de la femme.
- Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires.
- Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés; les paquebots aventureux flairant l’horizon; les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux, et le vol glissant des aéroplanes, dont l’hélice a des claque¬ments de drapeau et des applaudissements de foule enthousiaste.
C’est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd’hui le Futurisme, parce que nous voulons délivrer l’Italie de Sa gangrène de professeurs, d’archéologues, de cicé¬rones et d’antiquaires. L’Italie a été trop longtemps le grand marché des brocanteurs. Nous vou¬Ions le débarrasser des musées innombrables qui la couvrent d’innombrables cimetières. Musées, cimetières!… Identiques vraiment dans leur sinistre coudoiement de corps qui ne se connaissent pas. Dortoirs publics où l’on dort à jamais côte à côte avec des êtres hais ou inconnus. Férocité réciproque des peintres et des sculpteurs s’entre-tuant à coups de lignes et de couleurs dans le même musée.
Qu’on y fasse une visite chaque année comme on va voir ses morts une fois par an… Nous pouvons bien l’admettre !… Qu’on dépose même des fleurs une fois par an aux pieds de la Joconde, nous le concevons !… Mais que l’on aille promener quotidiennement dans les musées nos tristesses, nos courages fragiles et notre inquiétude, nous ne l’admettons pas!..
Voulez-vous donc vous empoisonner? Voulez-vous donc pourrir?
Que peut-on bien trouver dans un vieux tableau si ce n’est la contorsion pénible de l’artiste s’efforçant de briser les barrières infranchissables à son désir d’exprimer entièrement son rêve ?
Admirer un vieux tableau c’est verser notre sensibilité dans une urne funé¬raire, au lieu de la lancer en avant par jets violents de création et d’action. Voulez-vous donc gâcher ainsi vos meilleures forces dans une admiration inutile du passé, dont vous sortez forcément épuisés, amoindris, piétinés ?
En vérité la fréquentation quotidienne des musées, des bibliothèques et des académies (ces cimetières d’efforts perdus, ces calvaires de rêves crucifiés, ces registres d’élans brisés!…) est pour les artistes ce qu’est la tutelle prolongée des parents pour des jeunes gens intelligents, ivres de leur talent et de leur volonté ambitieuse.
Pour des moribonds, des invalides et des prisonniers, passe encore. C’est peut être un baume à leurs blessures que l’admirable passé, du moment que l’avenir leur est interdit… Mais nous n’en voulons pas, nous, les jeunes, les forts et les vivants futuristes !
Viennent donc les bons incendiaires aux doigts carbonisés!… Les voici! Les voici!… Et boutez donc le feu aux rayons des bibliothèques! Détournez le cours des canaux pour inonder les caveaux des musées!… Oh qu’elles nagent à la dérive, les toiles glorieuses! A vous les pioches et les marteaux! Sapez les fondements des villes vénérables! Les plus âgés d’entre nous ont trente ans; nous avons donc au moins dix ans pour accomplir notre tache. Quand nous aurons quarante ans, que de plus jeunes et plus vaillants que nous veuillent bien nous jeter au panier comme des manuscrits inutiles !… Ils viendront contre nous de très loin, de partout, en bondissant sur la cadence légère de leurs premiers poèmes, griffant l’air de leur’ s doigts crochus, et humant, aux portes des académies, la bonne odeur de nos esprits pourrissants, déjà promis aux catacombes des bibliothèques.
Mais nous ne serons pas là. Ils nous trouveront enfin, par un nuit d’hiver, en pleine campagne, sous un triste hangar pianoté par la pluie monotone, accroupis près de nos aéroplanes trépidants, en train de chauffer nos mains sur le misérable feu que feront nos livres d’aujourd’hui flambant gaiement sous le vol étincelant de leurs images. Ils s’ameuteront autour de nous, haletants d’angoisse et de dépit, et tous exaspérés par notre fier courage infatigable s’élanceront pour nous tuer, avec d’autant plus de haine que leur cœur sera ivre d’amour et d’admiration pour nous. Et la forte et la saine Injustice éclatera radieusement dans leurs yeux. Car l’art ne peut être que violence, cruauté et injustice.
Les plus âgés d’entre nous ont trente ans, et pourtant nous avons déjà gaspillé des trésors, des trésors de force, d’amour, de courage et d’âpre volonté, à la hâte, en délire, sans compter, à tour de bras, à perdre haleine.
Regardez-nous! Nous ne sommes pas essoufflés… Notre cœur n’a pas la moindre fatigue! Car il s’est nourri de feu, de haine et de vitesse !… Ça vous étonne? C’est que vous ne vous souvenez même pas d’avoir vécu! Debout sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi aux étoiles!
Vos objections? Assez! Assez! Je les connais! C’est entendu! Nous savons bien ce que notre belle et fausse intelligence nous affirme. – Nous ne sommes, dit-elle, que le résumé et le prolongement de nos ancêtres. – Peut-être! Soit!… Qu’importe?… Mais nous ne voulons pas entendre! Gardez-vous de répéter ces mots infâmes! Levez plutôt la tête! Debout sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi aux étoiles!
EN
This English-language translation COPYRIGHT ©1973 Thames and Hudson Ltd, London. All rights reserved. Source for translation by R.W. Flint reproduced below: Apollonio, Umbro, ed. Documents of 20th Century Art: Futurist Manifestos. Brain, Robert, R.W. Flint, J.C. Higgitt, and Caroline Tisdall, trans. New York: Viking Press, 1973. 19-24.
We had stayed up all night, my friends and I, under hanging mosque lamps with domes of filigreed brass, domes starred like our spirits, shining like them with the prisoned radiance of electric hearts. For hours we had trampled our atavistic ennui into rich oriental rugs, arguing up to the last confines of logic and blackening many reams of paper with our frenzied scribbling.
An immense pride was buoying us up, because we felt ourselves alone at that hour, alone, awake, and on our feet, like proud beacons or forward sentries against an army of hostile stars glaring down at us from their celestial encampments. Alone with stokers feeding the hellish fires of great ships, alone with the black spectres who grope in the red-hot bellies of locomotives launched on their crazy courses, alone with drunkards reeling like wounded birds along the city walls.
Suddenly we jumped, hearing the mighty noise of the huge double-decker trams that rumbled by outside, ablaze with colored lights, like villages on holiday suddenly struck and uprooted by the flooding Po and dragged over falls and through gourges to the sea.
Then the silence deepened. But, as we listened to the old canal muttering its feeble prayers and the creaking bones of sickly palaces above their damp green beards, under the windows we suddenly heard the famished roar of automobiles.
‘Let’s go!’ I said. ‘Friends, away! Let’s go! Mythology and the Mystic Ideal are defeated at last. We’re about to see the Centaur’s birth and, soon after, the first flight of Angels!… We must shake at the gates of life, test the bolts and hinges. Let’s go! Look there, on the earth, the very first dawn! There’s nothing to match the splendor of the sun’s red sword, slashing for the first time through our millennial gloom!’
We went up to the three snorting beasts, to lay amorous hands on their torrid breasts. I stretched out on my car like a corpse on its bier, but revived at once under the steering wheel, a guillotine blade that threatened my stomach.
The raging broom of madness swept us out of ourselves and drove us through streets as rough and deep as the beds of torrents. Here and there, sick lamplight through window glass taught us to distrust the deceitful mathematics of our perishing eyes.
I cried, ‘The scent, the scent alone is enough for our beasts.’
And like young lions we ran after Death, its dark pelt blotched with pale crosses as it escaped down the vast violet living and throbbing sky.
But we had no ideal Mistress raising her divine form to the clouds, nor any cruel Queen to whom to offer our bodies, twisted like Byzantine rings! There was nothing to make us wish for death, unless the wish to be free at last from the weight of our courage!
And on we raced, hurling watchdogs against doorsteps, curling them under our burning tires like collars under a flatiron. Death, domesticated, met me at every turn, gracefully holding out a paw, or once in a while hunkering down, making velvety caressing eyes at me from every puddle.
‘Let’s break out of the horrible shell of wisdom and throw ourselves like pride-ripened fruit into the wide, contorted mouth of the wind! Let’s give ourselves utterly to the Unknown, not in desperation but only to replenish the deep wells of the Absurd!’
The words were scarcely out of my mouth when I spun my car around with the frenzy of a dog trying to bite its tail, and there, suddenly, were two cyclists coming towards me, shaking their fists, wobbling like two equally convincing but nevertheless contradictory arguments. Their stupid dilemma was blocking my way—Damn! Ouch!… I stopped short and to my disgust rolled over into a ditch with my wheels in the air…
O maternal ditch, almost full of muddy water! Fair factory drain! I gulped down your nourishing sludge; and I remembered the blessed black breast of my Sudanese nurse… When I came up—torn, filthy, and stinking—from under the capsized car, I felt the white-hot iron of joy deliciously pass through my heart!
A crowd of fishermen with handlines and gouty naturalists were already swarming around the prodigy. With patient, loving care those people rigged a tall derrick and iron grapnels to fish out my car, like a big beached shark. Up it came from the ditch, slowly, leaving in the bottom, like scales, its heavy framework of good sense and its soft upholstery of comfort.
They thought it was dead, my beautiful shark, but a caress from me was enough to revive it; and there it was, alive again, running on its powerful fins!
And so, faces smeared with good factory muck—plastered with metallic waste, with senseless sweat, with celestial soot—we, bruised, our arms in slings, but unafraid, declared our high intentions to all the living of the earth:
MANIFESTO OF FUTURISM
We intend to sing the love of danger, the habit of energy and fearlessness. Courage, audacity, and revolt will be essential elements of our poetry. Up to now literature has exalted a pensive immobility, ecstasy, and sleep. We intend to exalt aggressive action, a feverish insomnia, the racer’s stride, the mortal leap, the punch and the slap. We affirm that the world’s magnificence has been enriched by a new beauty: the beauty of speed. A racing car whose hood is adorned with great pipes, like serpents of explosive breath—a roaring car that seems to ride on grapeshot is more beautiful than the Victory of Samothrace. We want to hymn the man at the wheel, who hurls the lance of his spirit across the Earth, along the circle of its orbit. The poet must spend himself with ardor, splendor, and generosity, to swell the enthusiastic fervor of the primordial elements. Except in struggle, there is no more beauty. No work without an aggressive character can be a masterpiece. Poetry must be conceived as a violent attack on unknown forces, to reduce and prostrate them before man. We stand on the last promontory of the centuries!… Why should we look back, when what we want is to break down the mysterious doors of the Impossible? Time and Space died yesterday. We already live in the absolute, because we have created eternal, omnipresent speed. We will glorify war—the world’s only hygiene—militarism, patriotism, the destructive gesture of freedom-bringers, beautiful ideas worth dying for, and scorn for woman. We will destroy the museums, libraries, academies of every kind, will fight moralism, feminism, every opportunistic or utilitarian cowardice. We will sing of great crowds excited by work, by pleasure, and by riot; we will sing of the multicolored, polyphonic tides of revolution in the modern capitals; we will sing of the vibrant nightly fervor of arsenals and shipyards blazing with violent electric moons; greedy railway stations that devour smoke-plumed serpents; factories hung on clouds by the crooked lines of their smoke; bridges that stride the rivers like giant gymnasts, flashing in the sun with a glitter of knives; adventurous steamers that sniff the horizon; deep-chested locomotives whose wheels paw the tracks like the hooves of enormous steel horses bridled by tubing; and the sleek flight of planes whose propellers chatter in the wind like banners and seem to cheer like an enthusiastic crowd. It is from Italy that we launch through the world this violently upsetting incendiary manifesto of ours. With it, today, we establish Futurism, because we want to free this land from its smelly gangrene of professors, archaeologists, ciceroni and antiquarians. For too long has Italy been a dealer in second-hand clothes. We mean to free her from the numberless museums that cover her like so many graveyards.
Museums: cemeteries!… Identical, surely, in the sinister promiscuity of so many bodies unknown to one another. Museums: public dormitories where one lies forever beside hated or unknown beings. Museums: absurd abattoirs of painters and sculptors ferociously slaughtering each other with color-blows and line-blows, the length of the fought-over walls!
That one should make an annual pilgrimage, just as one goes to the graveyard on All Souls’ Day—that I grant. That once a year one should leave a floral tribute beneath the Gioconda, I grant you that… But I don’t admit that our sorrows, our fragile courage, our morbid restlessness should be given a daily conducted tour through the museums. Why poison ourselves? Why rot?
And what is there to see in an old picture except the laborious contortions of an artist throwing himself against the barriers that thwart his desire to express his dream completely?… Admiring an old picture is the same as pouring our sensibility into a funerary urn instead of hurtling it far off, in violent spasms of action and creation.
Do you, then, wish to waste all your best powers in this eternal and futile worship of the past, from which you emerge fatally exhausted, shrunken, beaten down?
In truth I tell you that daily visits to museums, libraries, and academies (cemeteries of empty exertion, Calvaries of crucified dreams, registries of aborted beginnings!) are, for artists, as damaging as the prolonged supervision by parents of certain young people drunk with their talent and their ambitious wills. When the future is barred to them, the admirable past may be a solace for the ills of the moribund, the sickly, the prisoner… But we want no part of it, the past, we the young and strong Futurists!
So let them come, the gay incendiaries with charred fingers! Here they are! Here they are!… Come on! Set fire to the library shelves! Turn aside the canals to flood the museums!… Oh, the joy of seeing the glorious old canvases bobbing adrift on those waters, discolored and shredded!… Take up your pickaxes, your axes and hammers and wreck, wreck the venerable cities, pitilessly!
The oldest of us is thirty: so we have at least a decade for finishing our work. When we are forty, other younger and stronger men will probably throw us in the wastebasket like useless manuscripts—we want it to happen!
They will come against us, our successors, will come from far away, from every quarter, dancing to the winged cadence of their first songs, flexing the hooked claws of predators, sniffing doglike at the academy doors the strong odor of our decaying minds, which will have already been promised to the literary catacombs.
But we won’t be there… At last they’ll find us—one winter’s night—in open country, beneath a sad roof drummed by a monotonous rain. They’ll see us crouched beside our trembling aeroplanes in the act of warming our hands at the poor little blaze that our books of today will give out when they take fire from the flight of our images.
They’ll storm around us, panting with scorn and anguish, and all of them, exasperated by our proud daring, will hurtle to kill us, driven by a hatred the more implacable the more their hearts will be drunk with love and admiration for us.
Injustice, strong and sane, will break out radiantly in their eyes.
Art, in fact, can be nothing but violence, cruelty, and injustice.
The oldest of us is thirty: even so we have already scattered treasures, a thousand treasures of force, love, courage, astuteness, and raw will-power; have thrown them impatiently away, with fury, carelessly, unhesitatingly, breathless, and unresting… Look at us! We are still untired! Our hearts know no weariness because they are fed with fire, hatred, and speed!… Does that amaze you?
It should, because you can never remember having lived! Erect on the summit of the world, once again we hurl our defiance at the stars!
You have objections?—Enough! Enough! We know them… We’ve understood!… Our fine deceitful intelligence tells us that we are the revival and extension of our ancestors—Perhaps!… If only it were so!—But who cares? We don’t want to understand!… Woe to anyone who says those infamous words to us again!
Lift up your heads!
Erect on the summit of the world, once again we hurl defiance to the stars!”
ZH
我们整夜未眠,我和我的朋友们,在悬挂的清真寺灯下,灯罩是精致的铜丝穹顶,像我们的精神一样布满星辰,也如我们的心一般闪耀,燃烧着被囚禁的电之光。
几个小时里,我们把那原始的、祖先遗留的倦怠踩进华丽的东方地毯里,一直辩论到逻辑的尽头,用疯狂的笔迹涂黑了成沓的纸张。
一种巨大的骄傲支撑着我们,因为在那个时刻,我们感到自己是孤独的——孤独地醒着,孤独地站立着,像骄傲的灯塔,或是抵御敌对星辰军队的前哨——那些星辰在天上的营地中俯视着我们,闪烁着敌意。我们与那些给巨轮添燃地狱之火的司炉为伴,与那些在炽热机车的红色腹中摸索的黑色幽魂为伴,与那些醉汉为伴——他们像受伤的鸟一样,沿着城市的墙踉跄前行。
突然,我们一跃而起——听到了外面巨大的电车轰鸣,双层车厢在夜色中咆哮着驶过,灯光斑斓,宛如节日的村庄,被泛滥的波河冲击、连根拔起,翻滚着穿过瀑布与峡谷奔向大海。
随即,一片深沉的寂静降临。我们倾听那条古老的运河低声喃喃着微弱的祈祷,病态的宫殿在青苔胡须下发出骨骼的吱呀声。就在那时,我们忽然听见窗下传来饥饿的咆哮——那是汽车的声音。
“走吧!”我说,“朋友们,出发!走吧!神话与神秘理想终于被击败。我们将见证半人马的诞生,紧随其后的,是天使的第一次飞行!我们必须摇撼生命之门,试探它的门闩与铰链。快看,地平线上的第一道曙光!没有什么比太阳那把红色的剑更壮丽,它第一次劈开我们千年的昏暗!”
我们走向那三头喷气的野兽,伸出爱恋的手抚摸它们炙热的胸膛。我像尸体一样平躺在车上,但在方向盘下立刻复活——那方向盘像一把悬在我腹前的断头台刀刃。
疯狂的扫帚把我们从自身中席卷而出,驱赶着我们穿过街道,崎岖而深邃,如同山洪的河床。偶尔从窗玻璃透出的病态灯光教会我们——不要信任我们正在衰败的眼睛所计算出的虚假数学。
我喊道:“气味!气味就够了——那是我们野兽的食粮!”
于是我们像年轻的狮子一样追逐死亡,那黑色的皮毛上布满苍白的十字架,它逃进辽阔的紫罗天空,鲜活而跳动。
但我们没有任何理想的情人升起她的神圣身姿在云端,也没有残酷的女王让我们奉上被扭曲如拜占庭戒指的躯体。没有任何东西让我们渴望死亡——除非是渴望从我们勇气的重量中,终于获得自由。
我们继续奔驰,把看门狗撞向门阶,把它们在燃烧的轮胎下卷曲过去,像熨斗下被压平的衣领。死亡——被驯化了——在每个转角与我相遇,优雅地伸出一只爪子;或偶尔蹲伏着,从每个水洼中,用天鹅绒般的眼神抚摸我。
“让我们冲破这可怕的智慧外壳吧!像成熟的果实那样,被傲慢催熟,投入扭曲的风之巨口!让我们彻底把自己交给未知,不是出于绝望,而是为了重新灌满荒谬的深井!”
话音刚落,我就像咬自己尾巴的疯狗般猛地转动车子。忽然,两名骑车人向我驶来,挥舞着拳头,摇摇晃晃——像两条同样有理但相互矛盾的论证。他们愚蠢的困境堵住了我的路——该死!糟了!……我猛然停下,却连人带车滚进了沟里,四个轮子朝天。
噢,母性的沟渠,几乎灌满了浑浊的水!甜美的工厂排水沟!我贪婪地吞下你那滋养的泥浆——想起我那苏丹奶妈的黑色乳房……当我从翻覆的汽车下爬出时,身上撕裂、污秽、发臭,我感到一道白热的喜悦铁流穿过心脏!
一群拿着钓线的渔夫和痛风缠身的博物学者已经蜂拥而至,围观这场奇迹。那些人用耐心而慈爱的手竖起高高的起重架,用铁钩钩出我的车,就像在海滩上打捞一头搁浅的大鲨鱼。它慢慢从沟中升起,在底部留下沉重的理性框架与柔软的安逸内饰,像脱落的鳞片。
他们以为它死了——我那美丽的鲨鱼——但我轻轻一抚,它便复苏了;它重新活过来,在强劲的鳍上奔跑!
于是,脸上涂满工厂的污泥——混杂着金属的废屑、无意义的汗水与天体的煤烟——我们身上青紫,手臂悬吊,但无所畏惧,向大地上一切生者宣告我们的崇高意图:
我意欲歌颂危险的热爱,歌颂能量与无畏的习性。
我意欲赞颂进攻的行动,狂热的不眠,赛手的步伐,致命的飞跃,掌掴与拳击。
我断言:世界的壮丽已因一种新的美而更加丰富——速度之美。
一辆咆哮的汽车,呼吸着汽油的狂热,仿佛机枪一般在轨道上奔跑——它的美,比萨摩色雷斯的胜利女神更加辉煌。
我将颂扬战争——世界唯一的卫生;
我将颂扬军国主义、爱国主义、自由的破坏性姿态、那些值得为之死去的美好理念,以及对女人的轻蔑。
我将摧毁博物馆、图书馆、学院的一切形式的懦弱与妥协。
我要歌唱新的群众、新的心脏——在工厂、铁路、船厂、金属车间中跳动的心。
我要歌唱广袤的桥梁如巨人般跨越河流,歌唱炽烈阳光下燃烧的蒸汽船,歌唱在云层下低吼的机车与喷气的螺旋桨,歌唱那高悬于人类头顶的、钢铁与电的深空。
正是从意大利出发,我们将这份猛烈的、煽动性的宣言掷向全世界。
今日,我们宣告——未来主义(Futurism)诞生。
我们要将这片土地从教授、考古学家、导游与古董商那股腐臭的坏疽中解放出来。
太久了,意大利一直是旧衣商,兜售着被人穿过千百次的过去。
我们要将她从那些如坟墓般覆盖其上的无数博物馆中解放出来。
博物馆:墓地!
——彼此陌生的尸体混在一起的可怕共居所;
博物馆:公共的宿舍,人们永远躺在其中,身边是厌恶或不识之人;
博物馆:荒谬的屠宰场,画家与雕塑家在墙壁上互相残杀,用色彩和线条为武器。
来吧,那些带着焦黑指尖的快乐纵火者!
我们中最年长的不过三十岁。
我们还有十年去完成我们的事业。
等我们到了四十岁,新的、更强壮的人会像扔废稿一样把我们丢进垃圾桶——
我们希望如此!
他们将从远方来,四处而来,
踏着他们第一首歌的节奏起舞,
伸展着猛禽的爪子,
在学院门口嗅着我们腐败思想的气息,
那气息早已许给文学的地下墓穴。
但那时我们已不在。
某个冬夜,在空旷的田野上,
在被单调雨声敲打的悲伤屋顶下,
他们将找到我们——
我们蜷缩在颤抖的飞机旁,
用今天的书燃成的小火堆,
温着手。
他们会冲过来,气喘、愤怒、焦虑;
被我们的骄傲与胆量激怒,
他们会试图杀死我们——
那仇恨越强烈,他们心中对我们的爱与钦佩就越炽热。
于是,不义而强健的光将从他们的眼中绽放。
艺术,本质上,只能是暴力、残酷与不义。
我们中最年长的不过三十岁;
即便如此,我们已经把无数的财富——力量、爱情、勇气、机智与原始的意志——
抛洒出去。
我们以急躁、愤怒、漫不经心的方式,把它们甩向世界,
毫不犹豫,屏息而不歇。
看着我们!
我们仍然没有疲倦!
我们的心从不知倦怠,
因为它们以火焰、仇恨与速度为食!
你们惊讶吗?
你们该惊讶——
因为你们早已忘记怎样真正地活着!
我们,挺立在世界之巅,
再次向群星发出我们的挑战!
你们有反对意见?——够了!够了!
我们全都听过,也都懂。
我们那伪善的聪明告诉我们:
我们不过是祖先的延续与复活。
——或许如此!
——即便如此,又有何妨?
我们不想理解!
谁若敢再对我们说出这些可耻的言语,
必将有祸!
抬起你们的头!
站在世界的顶端,
我们再一次——
向群星掷出挑战!
